Il existe dans le secteur informatique une opinion largement répandue, qui est que le logiciel développé par un salarié appartient toujours à l’entreprise.
Cette opinion n’est pas si évidente. Elle se fonde sur un texte qui paraît clair : l’article L 113-9 du code de la propriété intellectuelle qui dispose que sur les logiciels développés par les salariés « dans l’exercice de leurs fonctions » , le droit de propriété sur cette œuvre est automatiquement dévolu à l’employeur (article L113-9 CPI).
Pourtant, ce principe n’est pas systématiquement suivi, pour trois raisons.
D’abord, beaucoup de logiciels sont développés par des salariés à titre personnel mais dans le prolongement de leur activité professionnelle (par exemple un responsable d’équipe qui veut informatiser certains processus et qui y travaille le week-end « dans son garage »). Le fait-il dans « l’exercice de ses fonctions » ? Les décisions de justice sont globalement en faveur de l’employeur, mais elles ne sont pas très nombreuses.
Ensuite, de nombreux logiciels sont développés par des personnes qui ne travaillent pas dans le cadre du salariat : stagiaires, associés de sociétés de professionnels libéraux, gérants de SARL, développeurs indépendants…
Dans ce cas, il faut appliquer un grand principe de droit : les exceptions aux principes s’interprètent strictement. Le principe est que celui qui crée une œuvre protégée par le droit d’auteur est titulaire des droits sur cette oeuvre (principe posé au premier article du code de la propriété intellectuelle, article L 111-1). L’exception concerne le logiciel développé par un salarié, qui « appartient » à son employeur. La conclusion est simple : celui qui n’est pas salarié n’est pas concerné par l’exception.
Passés au filtre de ce raisonnement, de très nombreux logiciels n’appartiennent finalement pas à l’entreprise.
Pour les cas où le logiciel appartient à l’employeur, il faut rappeler que les agents publics bénéficient d’une prime d’intéressement qui peut être importante (voir par exemple CAA Nancy 5 aout 2016 n 13NC01042). Pour les salariés, la situation est nettement moins favorable, la Cour de cassation a même écarté l’application de la convention collective SYNTEC, qui prévoit pourtant une prime (Cour de cassation, chambre sociale, 3 mai 2018).
Cette décision est très favorable aux employeurs. Elle est très critiquable sur deux aspects : elle est rendue par la chambre sociale de la cour de cassation. Or, depuis 2007, la loi veut unifier ce type de procès à la chambre civile ou la chambre commerciale de la cour de cassation. Elle est aussi critiquable car elle est très difficilement compréhensible. Si on tente de la traduire, on aboutit à un raisonnement en deux temps :
- L’article 75 de la convention collective SYNTEC oblige l’employeur à payer une prime en cas d’invention et de dépôt d’un brevet.
- En dehors du cas de dépôt d’un brevet, la prime est au bon vouloir de l’employeur.
Le résultat n’est pas très équitable, car il donne une prime, non pas en fonction de l’utilité de l’innovation (va-t-elle faire gagner de l’argent à l’entreprise ? ou du temps ? de la productivité ?) mais en fonction de la catégorie juridique de l’innovation (protégée par le brevet ou droit d’auteur).
En faisant un tableau à double entrée :
- si vous êtes fonctionnaire, vous avez une prime quand vous avez contribué à une innovation/invention brevetable ou un logiciel,
- si vous êtes salarié (convention SYNTEC) vous avez une prime pour une invention brevetable, pas pour un logiciel.
En résumé, le salarié de l’entreprise informatique est celui qui est dans la plus mauvaise situation…
La date de publication de cet article est : 10/09/2019 . Des évolutions de la loi ou de la jurisprudence pouvant intervenir régulièrement, n’hésitez pas à nous contacter pour plus d’information.