Ce billet est la version écrite d’une formation animée avec Indiana Zurbach, et Patrick Moreau lors du Congrès CURIE 2021. CURIE est une association (très efficace) qui regroupe les personnes qui travaillent à la valorisation de la recherche publique dans les universités, les écoles, CNRS, INRIA etc.
CURIE nous a demandé d’intervenir sur le sujet des bonnes pratiques relatives au logiciel libre.
Je remercie CURIE de m’avoir sollicité, et Indiana Zurbach et Patrick Moreau car nous avons bien travaillé ensemble pour préparer cette intervention. Elle a été captée, je devrais pouvoir la diffuser prochainement.
L’intérêt de ce billet est de rappeler quelques principes en matière de logiciel libre. Le temps était compté, et c’est un sujet complexe. Mais justement, quand un sujet est touffu, je pense qu’il faut poser des bases claires de raisonnement. Sinon, on part dans tous les sens et de travers.
D’abord, le logiciel est protégé par le droit d’auteur (pas par le brevet). C’est ce que nous dit l’article L.112-2 du code de la propriété intellectuelle : « Sont considérés notamment comme des œuvres de l’esprit au sens du présent code:
13° les logiciels, y compris le matériel de conception préparatoire ».
Un logiciel peut être protégé par le droit d’auteur, mais ce n’est pas toujours le cas. Le logiciel (objet technique) ne devient protégé par le droit d’auteur (et devenir donc un bien immatériel) que s’il est original. J’en reparle un peu plus loin.
Ensuite, un logiciel (bien immatériel) peut être vendu ou loué (sous forme de licence). Parmi les licences possibles, le créateur du logiciel peut choisir de distribuer le logiciel en licence libre (une licence GPL, Apache, creative commons, etc.). Il y a beaucoup de types de licences libres différentes.
Quand une personne physique (un individu) ou morale (une entreprise) ne respecte pas le contrat de licence libre, son interlocuteur dans le contrat (on parle de « co-contractant ») peut le lui reprocher.
Une certitude est que cette licence libre est un contrat, dont la violation est sanctionnée devant les tribunaux. C’est clair en jurisprudence depuis deux arrêts de la Cour d’appel de Paris. Le premier concerne la société EDUCAFFIX (CA Paris, 14 oct. 2008, n° 07-08043), le deuxième concerne la sociéé EDU 4 (CA Paris, 16 sept. 2009, n° 04-24298).
Maintenant, prenons le sujet de manière pratique. Quand on peut se plaindre du non-respect d’une licence libre, et qu’on a épuisé les méthodes de négociation, faut-il faire un procès ? Ma réponse est positive, sous réserves de disposer d’un dossier solide, d’un peu de moyens financiers et d’un excellent avocat spécialiste du secteur (cette dernière condition sera notamment remplie si vous faites appel à nos services – auto-promotion assumée).
Mais faut-il agir en contrefaçon de logiciel contre le méchant ?
Mon humble avis est qu’il s’agit d’une contrefaçon. Les droits de l’auteur d’un logiciel sont prévus à l’article L 122-6 du CPI. Parmi ces droits, il y a celui pour l’auteur de licencier son logiciel comme il le veut. Et si l’auteur fixe des conditions précises, le fait de ne pas les respecter constitue une violation des droits d’auteur du logiciel. Le raisonnement est imparable, me semble-t-il.
Sauf qu’en pratique, il y a deux obstacles à surmonter.
D’abord, la première défense du méchant contrefacteur est de dire que mon logiciel n’est pas protégé juridiquement car il n’est pas original. Il y a une très forte tendance des tribunaux depuis au moins 10 ans à refuser systématiquement l’originalité des logiciels. On vient d’avoir 1 colloque de la CNEJITA sur le sujet). J’avais commis un billet sur ce sujet en alexandrins. Une décision du tribunal judiciaire de Bordeaux du 22 juillet 2020 en donne une illustration forte. Même un logiciel représentant des milliers de lignes de codes, des années de travail, des choix audacieux, échoue à passer ce cap. C’est désespérant.
D’autre part, les tribunaux français persistent à juger que la violation d’un contrat de licence n’est pas une contrefaçon. La cour de justice de l’Union Européenne leur a pourtant dit clairement qu’il s’agissait d’une contrefaçon (CJUE C-666/18, ITD 18/12/2019, décision obtenue par votre serviteur). Mais la cour d’appel de Paris résiste (CA Paris 19/03/2021, commenté ici). EDIT Octobre 2022 : la Cour de Cassation a appliqué la décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne, voir notre commentaire ici.
Ces deux obstacles sont extrêmement pénibles car ils aboutissent dans les faits à une quasi-impossibilité de faire condamner en contrefaçon une entreprise qui ne respecte pas le droit du logiciel.
On pourrait proposer une solution de contournement, comme on dit en informatique : puisque les tribunaux judiciaires n’en veulent pas (en contrefaçon), allons au tribunal de commerce (en inexécution contractuelle). Oui, mais. Cela pose un problème de principe. La directive 2004/48 sur la contrefaçon a instauré des règles spéciales, protectrices des victimes de contrefaçon (procédure, montant des dommages et intérêts etc.). En allant au tribunal de commerce plutôt qu’au tribunal judiciaire en contrefaçon, on renonce à ces outils.
Bref, il est temps que la jurisprudence évolue (manière délicate de dire aux juges français de changer) et cesse de vider la réglementation sur la contrefaçon des logiciels de sa substance.
La date de publication de cet article est : 16/06/2021 . Des évolutions de la loi ou de la jurisprudence pouvant intervenir régulièrement, n’hésitez pas à nous contacter pour plus d’information.