Dans une décision très importante du droit des logiciels, la Cour Suprême des Etats-Unis vient de se prononcer le 5 avril 2021 en faveur de Google, contre Oracle, sur le sujet des API Java.
L’affaire trouve sa source dans le fait que Google a utilisé, pour développer son système Androïd, des lignes de code de Java, qui sont la propriété d’Oracle.
Oracle avait publié ces lignes sous licence libre, mais sous la condition que ce code ne soit pas modifié. Google a modifié quelques lignes de code et l’a admis.
Le premier juge (William Alsup) avait décidé que ces API n’étaient pas protégés par le droit du copyright. Vous verrez ici un article de The Verge qui montre le travail très précis de William Alsup pour aller au fond du dossier.
Le 9 mai 2014, la Cour d’appel fédérale donnait une victoire importante à Oracle. L’API est protégée par le droit d’auteur américain, le copyright. Google avait tenté un recours devant la Cour Suprême, mais le recours avait été rejeté de manière sommaire (sans examen au fond).
Google avait alors tenté de faire valoir un autre moyen de défense, le « fair use ». C’est un moyen de défense qui n’existe qu’en droit américain, et qui est complexe à mettre en œuvre.
La Cour d’appel fédérale avait jugé le 27 mars 2018 en faveur d’Oracle, notamment en raison de l’impact commercial de l’usage fait par Google.
La décision du 5 avril 2021 est très longue. Elle a été rendue à la majorité des juges de la Cour suprême. L’opinion majoritaire a été rédigée par le juge Breyer qui avait publié en 1970 un article très critique sur le droit du copyright aux Etats-Unis, estimant que la protection conférée par le Copyright était souvent excessive (The uneasy case for copyright, dans la Harvard Law Review).
Il est aussi intéressant de lire l’opinion dissidente du juge Thomas (qui se trouve dans le même document), car elle est extrêmement sévère. Selon lui, la décision rendue va jusqu’à « éviscérer » le droit d’auteur d’Oracle sur Java par le biais du « fair use ». En France, lorsqu’un article commente une décision rendue par la Cour de cassation, par exemple, il est rare que la critique soit aussi forte.
Et en droit français ? A mon humble avis, le principal obstacle sera de faire admettre la protection d’une API par le droit d’auteur. Il faudrait qu’un juge admette que l’API est originale. La jurisprudence est très exigeante à ce sujet depuis plusieurs années.
Si l’API est protégée par le droit d’auteur, l’utilisateur de l’API pourrait faire valoir une exception qui existe en droit français (venant de la directive européenne sur les logiciels que j’évoquais ici) : l’exception d’interopérabilité (c’est l’article 6 de la directive 2009/24). En résumé, j’ai le droit de décompiler un logiciel qui n’est accessible qu’en code objet si c’est l’unique moyen de faire se parler deux logiciels.
La date de publication de cet article est : 06/04/2021 . Des évolutions de la loi ou de la jurisprudence pouvant intervenir régulièrement, n’hésitez pas à nous contacter pour plus d’information.