En cas de dysfonctionnement d’un logiciel, il est souvent nécessaire de recourir à une expertise judiciaire pour tenter d’établir les responsabilités respectives entre le prestataire et le client (l’assistant à maîtrise d’ouvrage, aussi parfois).
Cette expertise est le plus souvent demandée à un juge des référés qui nomme un expert sur une liste de professionnels sélectionnés en raison de leur compétence (et aujourd’hui de leur participation et leur intérêt au service public de la justice).
Les règles applicables en la matière sont très importantes, car il est fréquent qu’un dossier soit gagné ou perdu dès le stade de l’expertise.
Dans ce contexte, le décret 2012-1451 du 24 décembre 2012 est venu changer quelques règles concernant l’expertise.
Ce décret consacre d’abord une pratique qui existe depuis longtemps : il est nommé dans chaque tribunal un juge chargé du suivi des expertises (article 155-1 du code de procédure civile). Le rôle pris par ce juge du contrôle est devenu très important dans les dernières années. Jusqu’à récemment, il était sollicité exclusivement dans certains cas très exceptionnels, lorsqu’une partie faisait de l’obstruction systématique, par exemple. Mais depuis quelques années, il est devenu beaucoup plus courant de solliciter le juge du suivi pour orienter l’expertise et pour solliciter de modifier la mission de l’expert au fur et à mesure des travaux. En fait, il apparaît parfois au bout de la troisième réunion qu’il faut ajouter une mission pour l’expert ou en repréciser une.
La critique que l’on peut adresser à cette modification est qu’elle ne simplifie pas les choses : le juge du contrôle sera nommé soit par le tribunal en son sein, soit par le juge des référés, soit par le juge spécialisé du tribunal. Bref, on n’en sort pas plus avancé…
Ce décret modifie les conditions de la rémunération de l’expert. L’argent est le nerf de la guerre, y compris en matière d’expertise. En même temps qu’il dépose son rapport, l’expert demandera sa rémunération définitive. Les parties à l’expertise pourront présenter des observations au juge sur la demande de rémunération de l’expert. Auparavant, la procédure était qu’après le dépôt du rapport, le juge fixait la rémunération de l’expert, et cette décision pouvait être contestée par les parties. Excellente modification : le juge prendra maintenant une décision après avoir entendu l’opinion des parties, si elles souhaitent contester cette rémunération.
Enfin, ce décret instaure dans tous les tribunaux de commerce de France la désignation d’un juge chargé d’instruire l’affaire (comparable au juge de la mise en état du tribunal de grande instance). Il fera au début de l’audience des plaidoiries un rapport oral, qui expose les grandes lignes de l’affaire et l’essentiel des arguments de part et d’autre. Enfin, ce juge pourra tenir l’audience seul pour entendre les plaidoiries (pratique courante notamment à Paris).
Malheureusement, le décret n’est pas allé jusqu’au bout du raisonnement. Ce juge n’est pas doté des mêmes pouvoirs que le juge de la mise en état du tribunal de grande instance (qui peut décerner des injonctions de conclure, pour faire accélérer une procédure contre une partie qui « joue la montre »). Par expérience, néanmoins, tout dépendra de la volonté des juges du tribunal de commerce. Ce n’est pas tellement en fonction des pouvoirs qui sont donnés par le code de procédure civile que les procédures sont menées avec énergie et efficacité. C’est d’abord et avant tout en fonction de l’énergie et de la volonté, voire de l’autorité, que les juges consacrent à la mise en état des dossiers. Pour parler clair, le juge faible, même doté du meilleur arsenal juridique, ne fera pas avancer les dossiers ralentis par l’un ou l’autre. L’inverse est en revanche vrai : un juge qui décide de faire avancer les choses parvient à son objectif, même si le code de procédure civile ne lui donne pas beaucoup de moyens.
Un dernier mot sur la création de ce juge chargé d’instruire l’affaire, en forme d’opinion très personnelle. Cette création va obliger de nombreux tribunaux de commerce à revoir de fond en comble les pratiques en vigueur, et notamment les conventions locales nouées avec les ordres des avocats. Ces conventions ont pour objectif d’améliorer le fonctionnement local du tribunal de commerce. L’enfer étant pavé de bonnes intentions, ces conventions aboutissent à autant de codes de procédure civile locaux. A Nantes, il faut procéder de telle manière pour faire avancer les choses, à Nanterre, autrement, à Paris, différemment, et à Lyon, encore d’une autre façon. Ces conventions locales doivent être dénoncées avec force : elles aboutissent à la reconstitution d’un monopole local de fait pour les avocats locaux, alors que la représentation devant les tribunaux de commerce est libre. La justice, les juges et les justiciables n’y gagnent rien, les auxiliaires de justice non plus (sauf un intérêt à courte vue, mais ce n’est pas l’horizon qui doit être adopté).
En résumé, ce décret ne contient pas de disposition révolutionnaire, mais quelques nouvelles règles à bien maîtriser notamment en matière d’expertise informatique.
La date de publication de cet article est : 04/01/2013 . Des évolutions de la loi ou de la jurisprudence pouvant intervenir régulièrement, n’hésitez pas à nous contacter pour plus d’information.